La dernière fois que les islamistes ont présenté leur candidat à la présidentielle, on ne peut pas dire que cela a porté chance à ce dernier ; je pense, bien entendu, au malheureux Morsi et à sa brève carrière présidentielle. Instruits par ce fâcheux précédent, leurs petits cousins tunisiens, de loin plus avisés, ont décidé d’appeler à voter pour un candidat consensuel choisi hors d’Ennahdha. Que l’on considère cette initiative comme un sommet dans l’habilité ou, plus simplement, comme une forme de sagesse, toujours est-il qu’elle a eu pour effet de semer une belle pagaille au sein des forces politiques dites de progrès : le fromage présidentiel a fait voler en éclat leur unité de façade et a enterré toute velléité d’un front commun. L’éphémère UPT qu’on pourrait rebaptiser APT n’a pas tenu longtemps face aux appétits présidentiels des uns et des autres. Attendez-vous, dans les prochaines semaines, à assister à un florilège de « yeux doux » et de courbettes en direction de Montplaisir ; certains, comme Tahar Ben Hassine, vont jusqu’à qualifier Rached Ghanouchi de génie politique, d’autres se répandent en éloges sur le souci d’unité nationale d’Ennahdha. Heureusement, nous serons encore nombreux à ne pas nous pâmer devant l’esprit consensuel du parti islamiste et à considérer que sa complaisance, du temps de la Troïka, face au terrorisme lui ôte toute légitimité pour décider du futur locataire de Carthage. Parmi les pièges prisés par les chasseurs on trouve le miroir aux alouettes; celui qu’agite, aujourd’hui, Ennahdha est surtout un miroir aux pigeons…
Quand Béji Caïd Essebsi et Hamed Karoui s’accordent sur un point - à savoir que la nouvelle Instance Vérité et Dignité est nuisible - il n’est pas inutile de s’y arrêter. En substance, nos deux aînés lui reprochent d’avoir vocation à régler des comptes et de souffler sur le brasier de la vengeance. Indépendamment des conditions contestables de la désignation de ses membres, les pouvoirs reconnus à l’Instance par la loi sur la justice transitionnelle la hissent au rang d’un Tribunal d’Inquisition dont on peut craindre qu’il ne contribue pas à la concorde et à la réconciliation nationale. Faut-il taire les abus et les crimes du passé ? N’est-il pas nécessaire de lever le voile sur des pages sombres de notre histoire ? La recherche de la vérité est une quête louable quand elle est confiée à des individus impartiaux et compétents ; elle peut virer au désastre dans le cas contraire. Et puis, de qui se moque-t-on ? Quand on ne sait presque rien sur les assassinats politiques commis en 2013, j’aimerais bien savoir comment l’on compte élucider ceux des années 60. Au surplus, remuer le passé et rouvrir les vieilles cicatrices dans un pays encore endolori par 3 ans de règlements de comptes et haines recuites est un exercice à haut risque. C’est pourquoi, je souhaite du plaisir aux 15 heureux élus auxquels on assigne la lourde tâche de manipuler des substances facilement inflammables et parfois même explosives.
Le succès de l’emprunt national est à bien des égards réjouissant : réussir à collecter le double de ce qui était prévu prouve que le bas de laine des Tunisiens et leur sens du devoir national ne sont pas en si mauvais état que ça. Il faut reconnaître que le grand argentier du pays, Hakim Ben Hammouda, s’est démené comme un beau diable pour que le premier emprunt national de la transition dépasse ses objectifs. Cela nous change de l’ectoplasme qui l’a précédé et dont les fumeuses analyses tenaient plus de la discussion de café de commerce que de la pensée keynésienne. À dire vrai, ce n’est pas un cas isolé : la défunte Troïka restera dans les annales comme la plus belle agrégation de bras cassés et de charlatans en charge des affaires du pays.